Les Origines
« A la mémoire de Gilbert »
Nous sommes en 1983. Anzin-Saint-Aubin poursuit sa course démographique. Une course de fond.
Le village de 960 habitants en 1962 est devenu une commune « péri-urbaine » de 1 726 âmes en 1982.
Depuis 1978, la construction de zones résidentielles aux portes d’Arras a bouleversé la physionomie
d’Anzin-Saint-Aubin, née officiellement « par décret impérial » en 1853, traversée par la Scarpe et la
chaussée Brunehaut. Il y eut auparavant la paroisse de Saint-Aubin-Anzin, des mains tendues lorsque
durant la Révolution la commune s’appela Commune-des-Frères-Unis, des querelles aussi au début du
19e siècle, Anzin se peuplant plus rapidement que Saint-Aubin, possédant la mairie et réclamant une
église… Mais un présent bâtisseur s’est élevé sur les fondations du passé.
Nous sommes donc en 1983 et Philippe Salomé est élu maire. Originaire de Sin-le-Noble dans le Nord
où il est né en 1947, fils de paysan, il est arrivé à Anzin-Saint-Aubin en 1977, il a la fibre associative.
Il passe de l’équipe de foot à l’équipe municipale. Le gardien de but croise de nouveaux attaquants, de
nouveaux défenseurs prêts à mouiller le maillot pour Anzin-Saint-Aubin et notamment Gilbert Grenier.
Fils d’agriculteurs lui aussi, né à Sailly-sur-la-Lys en 1939, installé à Anzin-Saint-Aubin depuis 1968,
Gilbert Grenier a été professeur dans l’enseignement agricole avant de rejoindre la chambre d’agriculture
où il a développé le service machinisme… Gilbert Grenier est en outre un passionné d’histoire locale.
« Nous étions jeunes » se souvient Philippe Salomé, et sans aucun doute larges d’épaules, les idées fusaient
« pour prendre conscience du boum démographique et rassembler une population diversifiée ».
Le maire et un comité des fêtes sous la houlette de Gilbert Grenier ont « remué ce qui dormait ».
Une fête de la truite a vu le jour, belle idée dans une commune marquée par la présence de l’eau, avec
une pisciculture créée en 1923 ! L’équipe municipale avait investi le parc du château Lamoril, un édifice
cher aux Anzinois qu’elle avait décidé de restaurer et transformer en mairie. Dans ce même parc, pour
fêter l’avènement de la nouvelle maison commune en 1987, Gilbert Grenier imagina un son et lumière
« artisanal ». Le son et la lumière, déjà. En 1989, Anzin-Saint-Aubin se mettait à l’heure du Bicentenaire
de la Révolution ; dynamisme associatif et histoire locale devenant les fers de lance d’une ambition
municipale.
Un nouveau palier fut franchi dès 1992 avec « Histoires d’Eaux », un spectacle revisitant le passé de la
commune, écrit par l’historien Marc Loison. Une sacrée aventure. « Deux soirées au hameau de Saint-Aubin, des
gradins, six cents spectateurs, des jets d’eau… elle était pompée dans la Scarpe, l’vaque à Michel Dumur
incrinquée dins ch’l’hayure » raconte en vrac Gilbert Grenier. Une vache et un cheval, la fameuse Quadrille,
jument vedette du spectacle, sauvée de l’abattoir et rachetée par l’association Anzin Culture Nature
créée pour elle en 1994. Quadrille devint la « mascotte » d’ACN qui affichait clairement ses objectifs :
« développer des activités culturelles, sauvegarder le patrimoine (restauration de l’église de Saint-Aubin)
et promouvoir des actions de solidarité ».
Après quelques « Histoires d’Eaux », Philippe Salomé, Gilbert Grenier et ACN souhaitèrent en 1997 placer
la barre plus haut : « Pourquoi pas organiser un son et lumière avec plus de moyens », Gilbert imaginant
une trame autour de la chaussée Brunehaut. Au cours d’une réunion « à dix heures du soir » avec Michel Carpentier, on décida carrément
de recruter un metteur en scène. Un nom proposé par Jean-Michel Dejeante s’imposait : Dominique
Martens, champion toutes catégories des fresques historiques « à grand déploiement », « Le Souffle de
la Terre » à Ailly-sur-Noye créé en 1986 (3 200 personnages costumés, 35 cavaliers, plus de 600 projecteurs),
« La Légende de Raoul de Créquy » à Fressin (1994), « Les Misérables » à Montreuil-sur-Mer (1996).
Les idées fusèrent. « On va mettre une voie ferrée le long de la Scarpe ! Une locomotive à vapeur dins
ch’marécage ! » Philippe et Gilbert n’ont pas oublié les commentaires que suscitèrent leurs projets :
« Ils sont fous ces Anzinois ! » Il fallait aussi avertir et mobiliser la population. Elle fut au rendez-vous,
250 personnes remplissant la salle des fêtes. Deux années de travail et en septembre 1999, les six
soirées de « Au Fil du Temps, une Chaussée Brunehaut » rassemblèrent plus de six mille spectateurs.
La machine était lancée avec des rouages parfaitement huilés. « Nous avons créé du lien social » affirme
Philippe Salomé ; le directeur d’école, le chirurgien côtoyant l’agriculteur, l’ouvrier… Trois cents bénévoles,
techniciens, couturières, décorateurs, figurants.
« Au fil du temps, une chaussée Brunehaut » a marqué les esprits avec sur une « grande scène naturelle »
de plus d’un hectare, des tableaux très animés (900 personnages), très colorés (850 costumes)
évoquant deux mille ans d’histoire, de l’Antiquité à la Grande Guerre en passant par la peste, la querelle
entre Anzin et Saint-Aubin… Chaque édition, jusqu’en 2002, offrit son lot de nouveautés, de surprises :
un manège de chevaux de bois « fait maison », un kiosque à musique. Autant de défis toujours relevés
avec imagination, sérénité, convivialité, humour.
La « belle aventure » que de faire un spectacle son et lumière sur l’histoire de la chaussée Brunehaut qui
traverse le territoire d’Anzin-Saint-Aubin. Brunehaut, la reine du royaume d’Austrasie, épouse de Sigebert
1ère, ennemie jurée de Frédégonde maîtresse puis épouse de Chilpéric… Frédégonde fit assassiner Sigebert,
Brunehaut fut capturée par Chilpéric avant de s’enfuir et de revenir en Austrasie, envahie en 613 par le fils
de Frédégonde ! « Les Feux de l’Amour » chez les Francs. Faîte prisonnière, Brunehaut fut torturée pendant
trois jours, traînée derrière un cheval sauvage jusqu’à ce que mort s’ensuivît. Moult légendes sont
attachées à Brunehaut. Certaines lui attribuent la construction de routes… qui sont en fait d’anciennes
voies romaines comme celle qui reliait Arras à Thérouanne, en passant par Anzin-Saint-Aubin.
D’autres racontent que les chaussées Brunehaut correspondraient aux traces qu’aurait laissées derrière
elle la reine, traînée à toute vitesse, en ligne droite par monts et par vaux, derrière le cheval sauvage.
Le « grand spectacle vivant » est présenté pour la première fois les 10, 11, 12, 17 et 18 septembre
1999, trente-quatre tableaux pour raconter une « route de pierre, foulée par des générations de soldats,
de marchands ou de paysans. Des pavés usés par l’histoire ». Des archéologues et un chantier de fouilles
au bord de la chaussée ouvrent et ferment le spectacle (avec un feu de joie). Ils ont mis au jour « l’âme
de ce pays », sa pierre blanche, ses viviers, ses rivalités aussi (entre Anzin et Saint-Aubin) et le public
a rencontré les évangélisateurs (Vaast, Aubin…), Cyrano, les zouaves marocains de la Grande Guerre,
le premier maire de la « Commune-des-Frères-Unis »…
Pour suivre le fil du temps sur la chaussée Brunehaut, il a fallu aménager le site, confectionner 800 costumes,
le tissu ayant été acheté au marché Saint-Pierre à Paris, construire les décors, réaliser des centaines
d’accessoires, établir un plan lumière, choisir les chorégraphies, imaginer les effets spéciaux sur l’eau,
mettre en scène un train. Et rechercher plus de 350 000 francs d’aides financières auprès d’entreprises
et de collectivités publiques. 400 personnes (dont 260 acteurs, 10 cavaliers, 20 danseurs) mobilisées sur
une chaussée « pavée de milliers d’heures de travail bénévole, de découragements, d’enthousiasmes, de
passion » souligne Dominique Martens, créateur du spectacle.
Pari gagné ! Il semblait pourtant osé, insensé. « La commune d’Anzin-Saint-Aubin s’est taillée une formidable
réputation » se réjouit le maire Philippe Salomé, à l’orée du spectacle 2000. Ils sont désormais
600 bénévoles, des amis ont rejoint les habitants ; le site est réaménagé avec une capacité d’accueil
plus importante dans les tribunes et de nouveaux costumes, de nouveaux tableaux (40 dès 2001) font
leur apparition. Tout est démesuré : presque 1000 personnages, 1 020 costumes (8 couturières), des kilomètres
de câbles électriques et de sonorisation, des kilogrammes de peinture, des mètres cubes de bois, 200
mètres de voie ferrée, une locomotive à vapeur dénichée à Bray-sur-Somme, un manège de chevaux
de bois. Mais aussi 6 000 tracts, 100 000 dépliants, 5 000 brochures, 2 000 affiches, la communication
emmenée par Francine Briatte !
Un tout nouveau spectacle est sur les rails en 2002, il s’appelle désormais « Histoires et Rêves d’Artois »,
l’histoire d’Anzin-Saint-Aubin se conjuguant à l’Histoire de l’Artois, histoire et humour faisant bon ménage.
Astérix et Obélix s’invitent à la fête et cinq narrateurs « commentent » le spectacle en direct et de manière
très décalée. Dominique Martens veut éviter « la leçon d’histoire » et mettre avant tout « l’homme »
sur le devant de la scène (un hectare et demi en plein air).
370 projecteurs mettent en lumière les 1 300 costumes et les 35 tableaux : la reine Brunehaut bien sûr sur
un escalier monumental, mais aussi la guillotine de Robespierre, le bal joyeux de la Libération…
Le succès est au rendez-vous, la presse est unanime : « L’aboutissement et la passion de toute une
commune pour l’histoire de sa région » dit Le Figaro. En 2003, pour la dernière séance du vendredi, les
organisateurs ont dû refuser 500 spectateurs…
Entourés de nombreux bénévoles passionnés, Michel Carpentier, Claude Lecointe, René Lesoing tous impliqués comme Lodia Doutrelon qui remplit des bus complets de groupes, Brigitte Tierce, elle explose la vente des programmes, Thérèse
Grenier et les tartinettes font de délicieux en-cas, Gilbert Bultel initie le site internet, Christian Treiber gère la billetterie, Serge Herman puis
José Brongniart suivent la comptabilité, Jack Belot vend des espaces publicitaires épaulés par tant
d’autres dans la plaquette publicitaire composée par Sylvie Florin… dans l’ombre : sécurité, photos-vidéos coordonnées par Thierry Rocque, secrétariat, gestion de la presse, de la communication, suivi de la qualité par Francis Briatte, recherche
de partenaires et de sponsors etc….
« Il y avait le Feu des Ardents qui, fort heureusement, n’a laissé de traces que dans l’Histoire. Il existe
depuis quelques années une autre fièvre, tout aussi ardente, qui a incubé et s’est déclarée du côté
d’Anzin-Saint-Aubin, et dont, fort heureusement, aucun habitant ne voudrait pour rien au monde guérir !
C’est la passion du spectacle historique qui se manifeste chaque année en septembre par une série de
représentations en plein air » écrit Claude Marneffe. La fièvre du bénévolat pour un quart de la population
anzinoise. Chacun des bénévoles y met tout son coeur parmi lesquels également ; Jacques Aerts et Michel qui fabriquent
un kiosque à musique, Philippe Lardeur réalise des décors, Françoise Cayet, Marie-France Régnier et Annie Dégrugillier, puis Pascale
Houriez, Marguerite Mussault et toutes ces mains de fée cousent à tour de bras, Jean-Michel Dejeante gère les installations sur le site, Philippe Boudier peint le beffroi et imagine les trompe-l’œil, Gilbert Bar reproduit les rateaux en bois d’antan avec une force d’éléphant !!
Arnaud Lampin, Mathieu Dejeante enterrent des câbles électriques et élaguent la rive
droite de la Scarpe, Philippe Seuron et ses copains pratiquent à merveille le système D pour monter
une guillotine, un chevalet de mine, Michel Dumur et Gilbert Bar veillent aussi sur leurs chevaux de Trait du
Nord épaulé par Alain Legroux, Stéphane Lemaire et les cavaliers de « La Chevauchée des Amis » démarrent au galop sans oublier Lucienne Grenier dite « Lulu » qui assure la base arrière, toujours prête comme toute sa famille à rendre moult indispensables services… Ils sont
incroyables ces Anzinois… mais vrais comme ont déjà pu le constater 31 000 spectateurs.
Chacun apporte sa pierre nécessaire à l’édifice.
Bienvenue chez les Anzinois. L’édition 2004 réserve une belle surprise au public. Ils tendent l’oreille et
reconnaissent la voix off, c’est celle de Dany Boon. L’humoriste nordiste qui a cartonné avec son spectacle en ch’ti
« A s’baraque » puis avec sa pièce de théâtre « La vie de chantier » a accepté d’être le narrateur « d’Histoires et
Rêves d’Artois ». Il a enregistré le texte pendant un entracte de « La Vie de chantier » avec ses techniciens
dans sa loge » se souvient Sylvie Florin qui l’a rencontré au théâtre de Valenciennes.
Ce 6ème son et lumière de 90 minutes accueille 26 équipes de figurants, une tribune de 1 800 places, 40
tableaux avec des inédits : Philippe Auguste et son château avec ascenseur fait maison, Napoléon III et
Eugénie en amazone sur son cheval, la Révolution industrielle…
« Des ruptures de ton, des tableaux inattendus, parfois graves, parfois franchement délirants » selon la
recette Martens. Approuvée par 8 670 spectateurs, « des gens sont déjà venus six ou sept fois » sourit
Gilbert Grenier, président d’Anzin Culture Nature.
Avec ses six cents bénévoles jamais lassés, toujours pressés de faire mieux, la 7e édition se déroule sur
trois week-ends en septembre 2005, c’est encore une nouveauté. Et ce n’est pas la seule ! Les Anzinois
ne reculant devant aucun défi, ils font apparaître un véritable avion – un biplan pour rendre hommage
à Saint-Exupéry – et des jets d’eau. Le célèbre Vidocq est aussi de la partie. « Histoires et Rêves d’Artois »
est un fantastique survol de « deux mille ans d’humairtésianité », de l’Homme de Biache à la Libération.
700 bénévoles ont une nouvelle fois « donné le meilleur d’eux-mêmes » pour assurer le succès du 10e son
et lumière, spectacle auquel la Fédération Française des Fêtes et Spectacles Historiques a délivré un label
qualité pour la 7ème année consécutive. Avec les « artistes » anzinois, « tout devient possible » et en une
heure et demie, le public se retrouve dans une étonnante machine à remonter le temps et voit défiler les
siècles, croisant Mahaut d’Artois, Napoléon III, Brunehaut, Philippe Auguste, Robespierre… La machine
plane au-dessus du Beffroi d’Arras, des Viviers de Saint-Aubin…
2009, « quelle aventure encore ! ». « Histoires et Rêves d’Artois » continue mais dans un nouveau lieu, le Parc
d’Immercourt (et son écrin d’eau et de verdure) à Saint-Laurent-Blangy. « Il a fallu faire preuve d’une
extraordinaire volonté pour se réapproprier ce site » assure Philippe Salomé, président d’Anzin Culture
Nature devenu « Artois Culture Nature ». Et notamment refaire 300 mètres de voie ferrée, avec des courbes. Dominique Martens, le professionnel,
a échafaudé une version totalement renouvelée du spectacle, intégrant la scène immense du Parc
d’Immercourt, l’eau, les arbres… Le rythme est encore plus soutenu. Une nouvelle gageure pour les 750
bénévoles, des Immercuriens se sont effet parfaitement intégrés dans chacune des équipes anzinoises.
Le « déménagement » n’a guère perturbé Dominique Martens et Marcel Dransart, bien au contraire, il
a boosté leur créativité. De nouvelles scènes apparaissent, les couturières ont créé près de trois cents
nouveaux costumes extrêmement raffinés. Les spectateurs découvrent Komm, le chef de la tribu des Atrébates ; la porcelaine
bleue d’Arras ; le chevalier de Maison Mathieu II de Montmorency au retour triomphant de la bataille de Bouvines.
Les scènes sont magnifiées par des projections sur un écran d’eau géant de vingt mètres
de large et dix mètres de haut, alimenté par une pompe de 55 kilowatts.
Les couleurs éclatent grâce aux effets de lumières idoines, les jets d’eaux s’entrecroisent…et le spectateur, qui se laisse bercer par une remarquable qualité acoustique, en prend plein la vue et les oreilles ! Dans l’enfer de la guerre, le train surgit des ténèbres. Cador, notre superbe mascotte, termine la saison en remportant le Championnat de France équestre 2016 à Lamotte-Beuvron. Tant de talents remarquables, quelle fierté !!!
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